Version audio du portrait

Myriam Monsonégo, 2004 – 2012, franco-israélienne
Hind Rajab, 2018 – 2024, palestinienne
19 mars 2012. Toulouse.
Il fait encore frais ce lundi matin, alors tu t’es habillée chaudement, chère Myriam. Tu as enfilé tes collants blancs, ce sont tes préférés.
Tu es un peu en retard alors, tu laisses la fin de ton petit déjeuner sur la table de la salle à manger.
Tu le finiras peut-être ce soir, ou peut-être pas. A 7 ans, cela n’a aucune importance.
Tu ne veux pas arriver en retard à l’école. Tu es en CE2. C’est important le CE2 !
Tu adores danser, chère Myriam. Dans quelques mois aura lieu le spectacle de fin d’année, il faut que tu sois prête. Alors en sortant de chez toi, tu esquisses quelques pas de danse.
Te voilà sur le trottoir, devant le collège-lycée juif Ozar Hatorah, fondé par tes parents Yaacov et Yaffa il y a plus de 20 ans.
Tu attends la navette qui t’amènera à l’école. A tes côtés se tient Jonathan Sandler, enseignant à Ozar Hatorah, accompagné de ses deux fils, Arié 5 ans, et Gabriel 4 ans.
Il est bientôt 8 heures. Tout va bien, tu es à l’heure.
29 janvier 2024, ville de Gaza.
7 personnes s’entassent dans une Kia noire. Le couple Hamada avec leurs 4 enfants et leur nièce de 5 ans, toi, chère Hind.
Comme vous en avez reçu l’ordre par l’armée israélienne, vous fuyez votre quartier de Tel al-Hawa, en direction du Sud. Mais au détour d’une rue, vous tombez nez à nez avec les chars israéliens, qui ont envahi le quartier.
Impossible de vous échapper. Quand l’un des tanks tire sur votre véhicule, ton oncle, ta tante et 3 de leurs enfants sont tué·es sur le coup. Avec ta cousine Layan, 15 ans, vous êtes les deux seules survivantes.
Par l’intermédiaire d’un autre oncle, les opérateur·ices du Croissant Rouge parviennent à joindre Layan par téléphone. Lorsqu’elle décroche, elle crie, en larmes : « Ils nous tirent dessus. Le char est juste à côté de moi. Nous sommes dans la voiture, le char est juste à côté de nous »
Puis de nouveau le bruit des balles, un cri, et le silence.
Toulouse, devant l’école Ozar Hatorah.
Un homme casqué gare son scooter Yamaha blanc devant l’établissement.
Armé d’un 11,43 et d’un pistolet mitrailleur, il ouvre le feu et abat Jonathan Sandler et son fils Arié. L’arme s’enraye, Gabriel et toi Myriam courez vous réfugier dans la cour de l’établissement.
Mais le tueur ne vous laissera aucune chance. Il pénètre dans la cour et avec sa deuxième arme, il abat le petit Gabriel.
Tu n’aurais pas dû mourir, chère Myriam. Tu aurais pu t’échapper, mais tu cherches à emporter ton cartable rose, trop lourd. Tu trébuches.
Qu’y avait-il donc de si précieux dans ce cartable ? Y avais-tu caché un dessin, ou un poème écrit pour ta maîtresse pendant le week-end ? Je vois à quel point mes deux enfants chérissent ces petites créations, si fragiles, comme eux, comme toi.
Aujourd’hui la haine s’est faite homme et elle n’a pas eu de pitié, même pour une petite fille de 7 ans au visage d’ange et aux boucles blondes.
Ville de Gaza
Lorsque les opérateur·ices du Croissant Rouge rappellent, c’est toi, Hind, qui répond. Toute ta famille est morte autour de toi. Pendant trois longues heures, tu resteras en ligne avec les opérateur·ices, qui te recommandent de rester cachée dans la voiture. On entend régulièrement le bruit des balles. De ta voix fluette de petite fille de 5 ans, tu supplies : « J’ai si peur. S’il te plaît, viens. Viens emmène-moi. S’il te plaît, viendras-tu ? »
Tu n’aurais pas dû mourir, chère Hind. Après trois heures d’un effort surhumain, les secouristes du Croissant Rouge parviennent finalement à obtenir un laisser-passer de l’armée israélienne, et envoient une ambulance pour te porter secours. A son bord, deux ambulanciers, Youssef Zeino et Ahmed Al-Madhoun. Les secouristes pleurent de joie, ils parviennent même à te mettre en ligne avec ta mère. Ça y est, tu es sauvée !
Guidés au téléphone par les secouristes, les ambulanciers se frayent un chemin dans les rues dévastées par les bombardements. Mais alors que leur véhicule n’est plus qu’à quelques centaines de mètres de la Kia, il est frappé par un obus israélien.
Les opérateur·ices te parleront une dernière fois, le temps que tu leur confirmes avoir entendu l’explosion de l’ambulance. Puis la connexion est coupée, c’est de nouveau le silence. Il est 19h30, et ta voix s’est éteinte.
Aujourd’hui la haine s’est faite homme et elle n’a pas eu de pitié, même pour une petite fille de 5 ans au visage d’ange et aux boucles brunes.
Douze jours plus tard, le 10 février 2024, ta famille et des journalistes peuvent enfin se rendre sur place, après que l’armée israélienne ait évacué le quartier.
Déchiquetée par 355 impacts de balle, les fenêtres éclatées, la Kia noire a été poussée sur le bas-côté, sans doute par un bulldozer. Ton petit corps y repose, en compagnie de ceux de tes 4 cousin·es, de ta tante et de ton oncle.
A 150 mètres de là, on retrouve l’ambulance éventrée et les restes calcinés des corps de Youssef Zeino et Ahmed al-Madhoun.
Chère Hind, tu es morte pour la simple raison que tu étais palestinienne.
Chère Myriam, tu es morte pour la simple raison que tu étais juive.
Quand on s’attaque à ses enfants, le monde devrait se lever dans l’instant pour les protéger, ou au moins pour honorer leur mémoire. Mais nous ne nous sommes pas levé·es, ni pour l’une ni pour l’autre.
Nous nous sommes trouvé des excuses, nous avons détourné le regard, nous nous sommes tu·es. Et sur le terreau de notre lâcheté, les graines de la haine ont continué à germer.
Pardon Myriam. Pardon Hind. Nous n’avons pas su vous protéger. Et nous avons appris avec vous que les anges meurent aussi.
J’ai cessé depuis longtemps de croire au paradis. Mais en pensant à vous, Hind et Myriam, il m’arrive pourtant de rêver qu’il existe, pour que les anges ne meurent jamais.
C’est promis, chère Hind, chère Myriam, je ne vous oublierai pas.
Portrait rédigé par Guillaume Dufresne
Ressources utilisées pour ce portrait:
– La voix de Hind Rajab, film de Kaouther Ben Hania
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