Lettre à ma fille

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Mon amour, ma chérie, ma petite étoile,
Tu as eu 7 ans aujourd’hui. L’âge de raison dans un monde qui semble souvent l’avoir perdu.
Tout a passé si vite depuis ce matin du 17 décembre 2018. Comme un éclair. Comme un éclat de rire.
Dans cette incroyable aventure de la parentalité, il est une chose essentielle que j’ai fini par comprendre : être parent c’est souvent accepter son impuissance.
Impuissance à échapper à ces stéréotypes de genre qui continuent à gangréner notre société.
Impuissance à mettre fin aux violences abominables que nous infligeons aux femmes et aux enfants, alors que nous prétendons les aimer.
Impuissance à vous protéger ton frère et toi du désastre climatique, de l’empoisonnement généralisé aux biocides, de la destruction du vivant.
Mais j’ai compris aussi que cette impuissance n’est pas un renoncement. Si elle nous enseigne l’humilité face à l’ampleur des combats à mener, elle ne nous donne en aucune façon le droit d’y renoncer.

Il te faudra te battre toi aussi, ma chérie.

Car les hommes et leur système n’ont jamais rien donné aux femmes. Tout ce qu’elles ont acquis, elles l’ont obtenu avec leur force, leur courage et leur abnégation

Je le sais maintenant grâce à mon travail sur les chères oubliées. Ce projet qui a changé ma vie. Ce projet qui n’aurait jamais existé sans toi.

Les hommes ne te donneront rien à toi non plus.

N’écoute pas tous ces beaux parleurs en costume cravate. On voit chaque jour un peu plus à quoi ressemblent leurs grandes causes et leurs promesses.

Quand ils ne sont pas du côté des violeurs, ils gardent leurs yeux, leurs oreilles et leur bouche fermées à double tour, pour ne pas perdre leurs privilèges.

Pour eux tu seras toujours une sale conne, une hystérique, une manipulatrice, une bonne à tout faire, un objet de désir sexuel. Tu seras toujours trop jeune ou trop vieille, trop discrète ou trop bruyante, trop grosse ou trop mince, trop ambitieuse ou trop timorée.

Et ne m’écoute pas trop non plus mon amour. Dans ce grand combat pour l’égalité, je suis presque aussi débutant que toi, du haut de tes 7 ans

Quant à moi je te rêve libre, impertinente et chatoyante

Je te rêve debout, puissante et combattante

Combattante contre cette violence qui porte presque toujours les attributs de la masculinité

Cette certitude me déchire le cœur mais c’est ainsi: tu feras comme toutes les femmes de cette planète l’expérience de la violence masculine

Je ne peux me résoudre à t’apprendre à te méfier des hommes. Les faits me montrent pourtant chaque jour que ce serait le choix le plus rationnel. Je déteste donner des conseils, mais je te donnerai tout de même celui-là: fais tout ce que tu peux pour ne jamais dépendre d’un homme.

Cela mis à part ma chérie, je n’ai à vrai dire qu’une seule chose à te dire : n’oublie jamais d’aimer.

Car l’amour n’est pas une faiblesse. L’amour est une force immense, la seule capable de vaincre la haine et l’obscurantisme qui nous rongent le corps et le cœur. L’amour est un projet de résistance contre ceux qui veulent tout détruire au nom de leur pouvoir et de leur profit.

Pour eux mon amour, tu seras toujours une sale conne.

Mais pour moi ma chérie, tu seras ce que tu veux.


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