Cecilia Meireles (1901-1964), « Bord de mer », « Futur » et « Guerre »

Journaliste, professeure et poétesse brésilienne, Cecilia Meireles est considérée comme l’une des poétesses les plus importantes de la langue portugaise et l’un des grands noms du modernisme brésilien. Ce courant artistique né dans les années 1920 rompt avec l’art académique et traditionnel des élites brésiliennes qui a dominé le 19ème siècle, en s’inspirant des mouvements artistiques avant-gardistes européens.

 

Voici trois de ses poèmes que je trouve magnifique, « Bord de mer », « Guerre » et « Futur », le dernier également en version original

Bord de mer

J’habite les sables,
de hautes écumes : les navires
traversent mes fenêtres
comme le sang dans mes veines,
comme les petits poissons des rivières…

Ils n’ont pas de voiles et ils ont des voiles ;
et la mer a et n’a pas de sirènes ;
et je navigue et je suis figée,
je vois des mondes et je suis aveugle,
parce que c’est une maladie de famille,
être faite de sable, d’eau, d’île…
Et même sans bateau navigue
qui dans la mer a son destin.

Que Dieu te protège, Cecília,
car tout n’est que mer – et rien d’autre.

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Guerre

Il y a tant de sang
que les fleuves se détournent de leur rythme,
l´océan délire
et repousse son écume rouge.

Il y a tant de sang
que la lune elle-même se lève. Effroyable,
errant en des endroits tranquilles,
somnambule aux halos rouges,
le feu de l´enfer dans ses cheveux.

Il y a tant de morts
que les visages eux-mêmes, côte à côte, ne se reconnaissent pas,
et les morceaux des corps sont là comme des épaves sans emploi.

Oh, les doigts et leurs alliances perdus dans la boue…
les yeux qui ne cillent plus devant la poussière…
Les bouches aux messages égarés…
Le coeur jeté aux vers, sous les épais uniformes…

Il y a tant de morts
que les âmes seules formeraient des colonnes,
les âmes dégagées… — et atteindraient les étoiles.

Et les machines aux entrailles béantes,
et les cadavres encore armés,
et la terre avec ses fleurs qui brûlent,
et les fleuves effarés, zébrés comme des tigres,
et cette mer folle pleine d´incendies et de naufrages,
et la lune hallucinée de tout ce dont elle a témoigné,
et vous et nous, indemnes,
pleurant sur des photos,
tout n´est qu´échafaudages qui se dressent et s´effondrent
parmi les temps longs,
rêvant d´architectures.

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 FUTUR

Il faut qu’ il y ait enfin une heure claire
quand reposent les corps resignés sous les pierres
comme des masques enfouis dans le sol.

Parmi les Racine, peut-être voiit-on les yeux fermés,
comme jamais on ne peut voir sur terre,
aveuglés que nous sommes par tant de lumière

On demandera “ Mais c’était cela, ton silence ?”
On demandera “ Mais c’était ainsi, tonm coeur ?”

Hélas, nous ne serons que d’inutiles images couchées dans l’ argile,
toutes pareillement solitaires, silencieuses,
la tête reposant sur le souvenir.

 

FUTURO

É preciso que exista, enfim, uma hora clara,
depois que os corpos se resignam sob as pedras
como máscaras metidas no chão.

Por entre as raízes, talvez se veja, de olhos fechados,
como nunca  se pôde ver, em pleno mundo,
cegos que andamos de iluminação.

Perguntareis : “Mas era aquilo, o teu silêncio ?”
Perguntareis “Mas era aquilo, o teu coração ?”

Ah, seremos apenas imagens inúteis, deitadas no barro,
do mesmo modo solitárias, silenciosas,
com a cabeça encostada à sua própria recordação.

 


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