
Katherine Johnson, 26 août 1918 – 24 février 2020, Etats-Unis
Dorothy Vaughan, 20 septembre 1910 – 10 novembre 2008, Etats-Unis
Mary Jackson, 9 avril 1921 – 11 février 2005, Etats-Unis
Chère Katherine, chère Dorothy, chère Mary,
Je vous ai découvertes grâce au film « Les Figures de l’ombre » sorti en 2016, et j’insiste bien sur le grand « F » du titre.
Très tôt, vous montrez toutes les trois à l’école une grande appétence pour les mathématiques. Vous vous révélez être des concurrentes redoutables pour les défis de tables de multiplication ! Malgré leurs faibles moyens financiers, vos parents vous poussent à continuer les études. Le pari est gagné, puisque vous excellez toutes les trois dans tout ce que vous entreprenez et obtenez des bourses pour vos études à l’université.
Cependant, en tant qu’afro-américaines, vous pouvez uniquement intégrer des établissements scolaires réservés aux Noirs, car dans les années 30, la ségrégation raciale fait rage aux Etats-Unis. Chaque jour, il vous faut parcourir des bornes et des bornes pour simplement exercer votre droit d’étudier.
1ères de vos classes, vous obtenez chacune votre licence en mathématiques à l’âge de 18 ou 19 ans seulement, avec en plus des très bonnes mentions. Pour l’anecdote, chère Katherine, tu demandas même à tes professeurs d’avoir des cours de mathématiques supplémentaires, car tu trouves les cours existants insuffisamment stimulants et à vrai dire même un peu ennuyeux : non mais quel culot !! Tu as bien raison, ce n’est pas moi qui vais te reprocher ta soif de savoir.
A la fin des années 30, vous sortez diplômées de l’université, mais la crise vous pousse à prendre rapidement un travail comme professeure ou bibliothécaire pour soutenir vos familles, et cela toujours dans des établissements « Black-only ».
En 1941, pendant la Seconde Guerre Mondiale, Les Etats-Unis cherchent, pour maximiser l’effort de guerre, à embaucher de nouveaux et nouvelles mathématicien·nes et ingénieur·es dans de nombreuses agences fédérales, comme la National Advisory Committee for Aeronautics (NACA, future NASA). Et avec le départ de nombreux hommes au combat, les femmes sont de plus en plus sollicitées !
Vous finirez par toutes vous croiser là-bas, à la NACA, entre génies.
Chère Dorothy, tu es la première d’entre vous trois à y être admise, en 1943. Tu rejoins le centre de recherche de Langley en tant que mathématicienne, chargée de réaliser à la main des calculs extrêmement complexes. Ta division, la West Area Computers, également surnommée la division “Ordinateurs en jupe”, est un groupe composé intégralement de femmes afro-américaines, mais dirigé initialement par une femme blanche. Vous êtes strictement séparées des mathématiciennes blanches, allant même jusqu’à avoir des toilettes et des espaces de restauration différents. Ceux des noires sont bien évidemment situés à l’opposé du bâtiment, à croire que vos urgences ne sont pas si urgentes. Sur cette ségrégation raciale, tu diras : « I changed what I could, and what I couldn’t, I endured. ». Quel savant mélange de courage et de pragmatisme!
En 1949, à la mort de la cheffe blanche de la West Area Computers, tu prends la tête de la division, devenant ainsi la première femme noire à obtenir une direction d’équipe à la NACA.
Comprenant très vite l’importance que l’informatique prendrait dans le futur, tu apprends en autodidacte la programmation en Fortran, un langage très utilisé pour le calcul scientifique. Tu l’enseignes ensuite aux collègues de ta division pour les préparer à la transition vers l’informatique. Tu as bien compris que cela vous rendrait indispensables et vous permettrait de garder vos postes.
Quelques années plus tard, en 1951 puis en 1953, tu es rejointe par Dorothy et Katherine. Elles ne resteront que 2 ans dans ta section informatique : Mary est embauchée dans l’équipe soufflerie, et Katherine est mutée dans la division de la recherche aéronautique et spatiale.
Chère Mary, tu es un formidable exemple de courage et de détermination. Ayant rapidement détecté ton potentiel dans l’équipe soufflerie, un ingénieur te prend sous son aile et te pousse à t’inscrire à un programme de formation pour devenir toi-même ingénieure. Malheureusement, l’établissement qui offre les cours appropriés, le Hampton High School de l’Université de Virginie, est réservé aux Blancs. Cette difficulté ne t’arrête pas. Après de nombreuses démarches, la ville t’accorde une dérogation te permettant d’entamer ta formation d’ingénieure au printemps 1956, en suivant certains cours durant les sessions du soir. En 1958, tu décroches ton diplôme, devenant ainsi la première femme afro-américaine à être nommée ingénieure à la NASA. Malheureusement, chère Mary, on ne peut pas crever tous les plafonds de verre. Malgré la qualité de ton travail, tu n’accéderas jamais à un poste de direction.
Ce qui m’amène à toi, chère Katherine. Tu es toi aussi confrontée à de multiples difficultés au cours de ta carrière, après ton arrivée dans la division Space Task Group, constituée exclusivement d’hommes blancs. Tu subis quotidiennement la honte de devoir traverser tout le bâtiment, passer tous les sas de sécurité, arriver dans le bâtiment d’en face, pour pouvoir juste aller aux toilettes réservées aux femmes noires… Et on te reproche ensuite de de prendre des pauses trop longues. Mais toi, chère Katherine, tu restes forte face à ces humiliations…
Sacrée surprise pour tes nombreux collègues misogynes et racistes, tes calculs en géométrie analytique et en trajectoire d’engins spatiaux s’avèrent être les plus précis du groupe. Grâce à cela, de nouvelles portes s’ouvrent à toi, et tu es de plus en plus sollicitée sur différents projets à forts enjeux. Pour t’imposer, tu fais remarquer que la qualité du le travail effectué devrait primer sur le genre et la couleur de peau.
En 1962, l’astronaute John Glenn, choisi pour réaliser le premier vol spatial américain, te demande de vérifier l’exactitude de tous les calculs effectués par l’ordinateur de vol. Tu démontres que l’ordinateur ne s’est pas trompé, et la mission est un succès. A partir de là, tu décroches des collaborations pour vérifier d’autres calculs informatiques, jusqu’aux plus prestigieux d’entre eux, ceux liés aux fenêtres de lancement des fusées. Cependant, malgré toutes ces réussites, tu ne gagnes pas vraiment en reconnaissance au sein de ton équipe, et tu continues à subir des discriminations quotidiennes.
En 1969, c’est la mission Apollo 11. Chère Katherine, tu aides à calculer la trajectoire de la fusée jusqu’au lieu de rendez-vous sur la Lune. C’est une opération des plus complexes car la rencontre du sol lunaire avec la navette, qui transporte trois astronautes, doit se faire à vitesse très réduite, voire à l’arrêt total. Le 21 juillet 1969, le monde entier assiste en direct aux premiers pas de l’Homme sur la Lune. Neil Armstrong devint connu et cité dans tous les bouquins d’histoires, mais je n’y ai jamais lu ton nom, Katherine Johnson. Et pourtant, sans toi rien de tout cela n’aurait été possible.
Plus tard, le 11 avril 1970, une fusée Saturne V emporte dans l’espace l’équipe d’Apollo 13. Ce lancement a lieu dans la plus grande indifférence médiatique, bien loin de la frénésie qui avait entouré le premier pas sur la Lune, moins d’une année auparavant. Mais la mission ne se déroule pas comme prévu. En effet, le 14 avril 1970, un des réservoirs d’oxygène explose, endommageant une partie des équipements nécessaires à la survie des trois astronautes. Dans l’urgence, les équipes de la NASA au sol sont mobilisées pour trouver une solution. Ingénieur.es, technicien·nes, mathématicien·nes, astronautes, … tous et toutes travaillent d’arrache-pied, tout en étant en relation H24 avec l’équipage. C’est ton équipe, chère Katherine, qui reçoit la mission de calculer la meilleure trajectoire possible pour rapatrier les astronautes sur Terre.
Cet accident ravive soudainement l’intérêt des médias et du grand public pour les voyages spatiaux, car c’est la vie des trois astronautes qui est en jeu. Ce sauvetage est suivi heure par heure… Les trois astronautes sont finalement récupérés sains et saufs, au milieu de l’Océan Pacifique.
Et bien que d’autres personnes exceptionnelles aient contribué à ce sauvetage, ce calcul de trajectoire réussi va participer un peu plus à ta renommée. Suite à cela, tu es affectée à diverses missions, notamment certaines devant permettre un voyage sur Mars.
Vous êtes toutes les trois des femmes exceptionnelles, qui avez fait considérablement avancer les mentalités et progressé les droits des femmes, noires en particulier.
Chère Dorothy, tu travailleras au total vingt-huit ans au centre de recherche de la NASA à Langley, contribuant notamment au programme Scout Launch Vehicle, système de satellite à combustible solide à quatre étages. Il y aura 118 lancements, avec un taux de réussite global de 96 % qui vaudra au programme une place au National Air and Space Museum.
Quant à toi, chère Mary, tu décides de quitter tes fonctions d’ingénieure en 1979 et d’accepter une rétrogradation de poste en tant que responsable du programme fédéral des femmes à Langley. Tu n’auras de cesse de te battre pour encourager le recrutement de femmes et de personnes issues de minorités souhaitant faire une carrière scientifique à la NASA. Tu es pour moi une grande source d’inspiration, j’ai beaucoup pensé à toi et à ton histoire lors de ma participation à l’évènement « Elles Bougent pour l’orientation », dans un collège de Vaujours.
Et toi, ma chère Katherine, les mots me manquent pour te rendre hommage. L’histoire retiendra de toi l’image d’une pionnière des extraordinaires avancées de la NASA dans les années 60. Tu auras joué un rôle déterminant dans la conquête spatiale grâce tes incroyables facultés de calcul, ouvrant ainsi la voie d’une carrière scientifique pour de nombreuses femmes.
Ce n’est qu’après votre retraite que vous recevez enfin les distinctions que votre travail mérite tant. A titre posthume pour Dorothy et Mary, et pour toi Katherine il a fallu attendre tes 97ans.
Le 24 novembre 2015, le président Barack Obama te décerne, Katherine, la médaille présidentielle de la Liberté, la plus haute distinction civile américaine. Il a notamment honoré le fait que tu as refusé de vivre une vie définie par les attentes de la société, repoussant ainsi les barrières raciales et liées au sexe.
A partir de 2016, vous avez recevez enfin les honneurs de la part la NASA. Vous obtenez vos inscriptions peu à peu sur de nombreux bâtiments du campus de recherche, la division responsable des calculs du Centre de recherche Langley sera nommée « Katherine G. Johnson Computational Research Facility ».
La même année, Margot Lee Shetterly publie son livre « Les Figures de l’ombre », qui retrace vos histoires. Il sera adapté au cinéma la même année et unanimement salué par la critique, accordant enfin à votre fantastique histoire toute la lumière qu’elle méritait.
Vous recevez toutes les 3 à titre posthume la médaille d’or du Congrès Américain en 2019. Cette récompense est pour toi Katherine non posthume car à cette date-là tu avais 100ans. Tu rejoins les étoiles à tes 101 ans.
Je connaissais Neil Armstrong et son petit pas pour l’Homme, mais je ne vous connaissais pas, Katherine Jackson, Dorothy Vaughn et Mary Jackson. Maintenant si, et je ne vous oublierai pas.

Portraits croisés rédigés par Emilie Coulon
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Répondre à Collège Louise Michel, 4 décembre 2025, Elles bougent pour l’orientation – Chères oubliées Annuler la réponse.