
Joséphine Baker, 1906-1975, française, de danseuse de rue à espionne des hautes sphères
Chère Joséphine,
L’histoire de ta vie m’a toujours intéressée. Tu nées en 1906 aux Etats Unis, là où l’esclavage est aboli depuis 1865 mais la ségrégation toujours présente. Dès 8ans, tu travailles après les heures scolaires en tant que femme de ménage, baby-sitter, pour subvenir aux besoins de ta famille. Tu es mariée à 13ans, puis divorcée à 14ans. Tu veux prendre en main ton destin et réaliser ton rêve, celui de devenir une artiste de l’ère du jazz et réclamer la fin de la ségrégation.
Avec ta troupe de danseurs de rue, tu as commencé par danser à Philadelphie puis New York, mais tu as été vite confrontée à la difficulté face à des personnes qui t’ont jugée trop maigre, trop grosse ou bien trop noire pour monter sur scène.
Un jour, une danseuse est malade et il faut la remplacer. Tu saisis cette occasion pour éblouir le public et braquer tous les yeux sur toi. Tu es repérée par un imprésario qui te propose de venir faire carrière à Paris.
En France à cette époque, le racisme est toujours présent mais tu deviens une star dans les cabarets Parisiens grâce tes talents dans la danse charleston, la chanson, et par-dessus tout ton expressivité explosive. C’est le début de ta gloire.
Tu fais exploser les carcans de la morale bourgeoise en révélant une nouvelle forme de liberté pour les femmes, inimaginable pour l’époque.
Derrière les paillettes, tu continues de subir de violentes critiques, tes prestations font scandale. L’Eglise tente même d’interdire tes spectacles et demande aux fidèles de rester chez eux.
Lors de ton 3ème mariage où tu obtiens la nationalité française, tu cherches un nouveau sens à ta vie.
Pendant la 2nd guerre mondiale, tu deviens marraine de guerre : tu envoies à ses filleuls cigarettes, chocolat, chaussettes pour les soutenir sur le front, tu viens aussi en aide à des réfugiés de guerre en apportant nourriture, argent, et même jouets pour enfants. Dès fin 1939, tu rejoins les services de renseignements français. Après la capitulation de l’Allemagne nazie, tu travailles pour les services secrets de la France libre, devenant ainsi résistante. Tu utilises ta renommée pour entrer en contact avec des personnalités importantes et glaner des informations. Pour transmettre ces messages secrets, tu inscris à l’encre invisible des codes sur tes partitions de musique. Menacée en 1941, tu t’enfuis au Maroc. Au lendemain de la guerre, tu recevras la médaille de la Résistance.
Rentrée aux Etats-Unis, la ségrégation contrarie toujours tes ambitions artistiques. Tu continues de te battre, en déclarant que la ségrégation n’a pas sa place dans tes salles de spectacles, ni même partout ailleurs.
Tu es aussi une figure de mère. Tu as adopté après la guerre avec ton mari 12 enfants de nationalité différente. Ta « tribu arc-en-ciel », comme tu l’appelles, est un superbe pied de nez au racisme.
En 1961, tu es décorée de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre. Quelle grande fierté. Quand tu étais résistante, tu te battais déjà contre toutes les formes de racisme et d’intolérance, mais il reste encore beaucoup à faire.
Le 28 août 1963, lorsque Martin Luther King prononce son discours I have a dream lors de la marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, tu te tiens à ses côtés vêtues de ton ancien uniforme de l’armée de l’air française et tes médailles de résistante. Tu seras la seule femme à prendre la parole depuis le Lincoln Memorial.
De retour en France, tu connus des années difficiles. Tu finiras criblée de dettes, malade. Entourée d’amis, alors que tu venais de fêter tes 50ans de carrière, tu meurs d’une attaque célébrable le 12 avril 1975.
Tu es une femme libre et audacieuse, artiste révolutionnaire, résistante, militante contre le racisme, mère de famille à la générosité sans bornes. 1000 vies qui te valent bien ton entrée au Panthéon le 30 novembre 2021, devenant ainsi la 6ème femme et la 1ère femme noire à y reposer.
Et bien qu’initialement, le peuple t’ait perçue comme une charmante Afro-Américaine au déhanchement incroyable, tu t’es forgé une solide réputation dans les hautes sphères de la société. Tu as su intelligemment te servir de cette image et la manipuler à sa guise, façonnant toi-même ton personnage public synonyme d’émancipation, symbolisant toute forme de liberté (du swing jusqu’aux droits civiques, en passant par la lutte contre le racisme) et ne définissant ta destinée qu’à ta façon.
Nous t’aimons, Joséphine Baker. Ton combat est notre combat.
Portait rédigé par Emilie Coulon

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