
La poésie peut-elle réussir là où les images ont échoué?
Les mots sauront-ils toucher ces cœurs que les chiffres les plus terrifiants ne parviennent pas à émouvoir?
J’ai en tout cas envie de le croire en lisant les poèmes bouleversants écrits par Neama Hassan entre octobre 2023 et novembre 2024, dans cette peur permanente de mourir et de voir mourir celles et ceux qui lui sont le plus cher, par les bombes, les balles ou la faim.
A Gaza, les parents sont si terrifiés à l’idée de perdre ou de ne pas reconnaître les enfants dans les décombres que certains inscrivent leurs noms sur différentes partie de leur corps.
Ces textes sont extraits du recueil « Sois Gaza », traduit de l’arabe par Souad Labbize
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22 octobre 2023
Il me reste un peu de café
et un bout de cigarette
elle et moi parions sur qui finira la première
toutes ces cigarettes épargnées nous incitent à vivre
pilonnage intensif et silence des lieux
nous lutterons jusqu’au bout
nous écrirons
pour faire entendre notre voix
aucun misérable ne mourra
les misérables resteront pour prouver la justesse du chemin
21 novembre 2023
Après la guerre
je dessinerai
une rue
un café
planterai un arbre
et sous son ombre
j’attendrai le retour des amis
mais trouveront ils le chemin?
23 novembre 2023
Je peux tout remplacer
cuire les aliments sur un feu de papier
quand il n’y en aura plus
j’utiliserai le bois des pupitres
si les enfants ont faim, je leur dirai
que le blé pousse encore dans le champ
au petit matin je préparerai du pain au feu de bois
peut-être m’asseoir dans le noir
leur raconter l’histoire depuis le début
jusqu’à ce que les avions se taisent
je n’attendrai pas le retour de l’électricité
je boira l’eau salée et penserai aux embruns
pour que ma gorge ne brûle pas
je peux tout remplacer
mais je ne trouve pas de fleur séchée qui me tende son ombre
pour pleurer sur toute cette mort
18 décembre 2023
L’idée de l’amour avant la mort est la seule façon de survivre ici
9 janvier 2024
Tu ne peux comprendre la solitude
de ceux qui se réconcilient avec la mort et lui sourient
la blessure est béante
le reste n’est que fioriture
27 mai 2024
Le malheur nous connaissait il pour s’accrocher autant à nous?
5 juin 2024
Si j’essaie de creuser le sable dans ma tante et bute sur quelque chose, je cesse immédiatement. La mort se cache partout, je crains de déranger les cadavres
17 juin 2024
Que faire pour endormir les petits
Guetter leurs rêves et y esquisser une balançoire
Même les sièges gémissent dans le dessin
21 juin 2024
Je ne sais qui plaindre
celui qui a tout perdu à Gaza
ou le déshérité qui attend la fin
d’une vie qu’il n’a pas vécu
22 août 2024
Imagine que tu résides dans une ville où il n’y a rien d’autre que la mort et la peur dans les rues
Désolée, il n’y a pas de rues dans la ville où nous sommes
Je ne crois pas que tu puisses l’imaginer
car moi aussi je rejette cette image
29 août 2024
Nous sommes la botte de foin soupçonnée de cacher l’aiguille
Alors ils ont dressé un bûcher
26 septembre 2024
Chaque soir
j’étreins mes enfants
pour m’endormir
l’amour est une angoisse commune
23 octobre 2024
Faim
froid
errance
et mort
voilà toute notre fortune
*
Génocide sous toutes ces formes dans le nord
Bombardement et famine dans le sud
*
J’ignore comment la mort peur résister si longtemps
et ne jamais ressentir la fatigue des vendanges
1er novembre 2024
A quoi penses tu?
A une tasse de thé à peine sucrée
à un bout de pain qui ne sente pas le moisi
d’être devant mes fourneaux et préparer un repas appétissant pour mes petits
à un robinet pour me laver le visage
à des vêtements élégants après un shampoing tonifiant et parfumé
à un petit spray de parfum
à un lit chaud
et à un coin où poser ma tête et pleurer
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