Version audio du portrait

Ching Shih, 1775 – 1844, chinoise, pirate
Chère Ching Shih,
Je dois te faire une confession, avant de faire ta connaissance, pour moi les pirates c’était plutôt un truc de garçon. Non que leurs incroyables aventures ne puissent fasciner que la moitié de l’humanité, mais les pillages, les tortures et autres pendaisons, je les pensais plutôt réservées à la gent masculine. Mais ça, c’était avant de te connaître.
De tes 69 années de vie, chère Ching Shih, je me concentrerai sur celles de ta vie de pirate, entre 1801 et 1810. On sait de toute façon assez peu de choses de ta vie d’avant, sinon que tu venais d’une famille pauvre et que, quand commence ce récit, tu es exploitée comme prostituée sur un immense « bateau-fleur » stationné dans le port de Canton, sur les rives de la rivière des perles. Des termes fort poétiques pour un quotidien qui l’était bien peu.
C’est en 1801 que la piraterie, littéralement, va te tomber dessus. Un soir comme tous les soirs, alors que tu te prépares pour une nouvelle nuit de passes, trois jonques aux voiles écarlates se lancent à l’assaut du “bateau-fleur”. Ces navires appartiennent au redoutable Zheng Yi. Pour lui la piraterie est une affaire de famille, de génération en génération depuis le 17ème siècle.
Pour les pirates, une jolie femme est un butin comme un autre, et te voilà embarquée à fond de cale d’une des jonques. Mais hors de question pour toi de subir le reste de ta vie, et les yeux dans les yeux de ton ravisseur Zheng Yi, tu lui demandes de t’enrôler dans son équipage.
Commence alors ta formation de pirate. Il y en a des choses à apprendre : l’art de la navigation, la vie sur le navire, le maniement du sabre et du canon… une chose est sûre, tu n’as pas dû t’ennuyer souvent ! Tu as une chance tout de même, en Chine le métier de pirate n’est pas réservé aux hommes. Il est même fréquent de voir des femmes commander des navires. A la différence de tes homologues britanniques Ann Bonny et Mary Read, tu n’auras donc pas à te travestir en homme.
A force de travail et d’abnégation, tu gagnes le respect de tes camarades, et grâce à tes indéniables qualités de leadership tu ne tardes pas à commander plusieurs navires. Ce n’est pas la fin de ta fulgurante ascension puisqu’un beau jour, tu tapes dans l’œil de Zheng Yi lui-même. D’un commun accord, vous décidez de vous marier. Pas sûr qu’il y ait beaucoup d’amour là-dedans, tu as bien compris que le mariage est un formidable ascenseur vers la puissance et le pouvoir.
Toujours est-il qu’à la tête de votre “flotte au drapeau rouge”, vous écumez la mer de Chine, pillant navires et villages côtiers, mettant régulièrement en déroute la marine chinoise, au grand dam de l’empereur Jiaqing. Il faut dire qu’avec 400 navires et 70 000 pirates, c’est une véritable armée que vous commandez. Une flotte trois fois plus grande que celle de l’Invincible Armada espagnole du roi Philippe II, qui en 1588 avait échoué dans la conquête du royaume d’Angleterre d’Elisabeth 1ere.
Ta vie de pirate allant de pair avec ta vie familiale, Zheng Yi et toi adoptez un jeune fils de pêcheur de 15 ans que vous avez capturé, Zhang Pao Tsai, et vous en faites votre héritier. Vous aurez également deux fils naturels, Cheng Yinh Shih et Cheng Heung Shih.
En 1807, Zheng Yi est emporté en mer lors d’une tempête, et grâce à d’habiles manœuvres, dont le mariage avec ton fils adoptif qui est aussi devenu ton amant, tu prends seule le commandement de l’immense “flotte au drapeau rouge”. Afin d’y assurer la discipline, tu élabores un ensemble de lois strictement appliquées : 80% des butins sont affectés à un fond commun de la flotte qui sert à rémunérer les marins ; interdiction de piller les villages soutenant la flotte pirate ; la désertion est punie d’une oreille coupée ; voler dans le butin ou violer une prisonnière (car cela diminuerait sa valeur marchande, on a dit femme pirate pas pirate féministe) et c’est la mort. Clairement on n’est pas là pour rigoler, mais tu y gagnes le soutien et la loyauté des femmes et des hommes de ta flotte.
Plus rien désormais ne résiste à ta puissance et à ton sens de la stratégie. Ni la marine chinoise du pauvre Jiaqing, ni les navires portugais ou anglais sillonnant la mer de Chine ne sont de taille à lutter contre toi. Ta seule défaite te sera finalement infligée par ton grand rival pirate, O-po-tae. Mais après la reddition de ce dernier, qui donne la possibilité au gouvernement chinois de concentrer ses forces contre toi, tu sens le vent tourner et tu as l’intelligence de négocier et d’obtenir une amnistie en 1810, pour toi et tous les membres de ta flotte.
C’est la fin de ta vie de pirate, te voilà de retour à Canton. Avec ton butin que tu as négocié de conserver, tu ouvres un cercle de jeux et une maison de passe. Tu les géreras jusqu’à ta mort en 1844. Tes années au bateau-fleur ne t’auront donc pas rendu abolitionniste, les affaires restent les affaires!
Je connaissais Barbe Noire et Jack Rackham, mais je ne te connaissais pas, Ching Shih. Maintenant si, et je ne t’oublierai pas.
Portrait rédigé par Guillaume Dufresne
Ressources utilisées pour ce portrait:
– Les odyssées de France Inter: Ching Shih, la pirate chinoise
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